mercredi 7 octobre 2015

"Loué sois tu, Seigneur, pour et par toutes tes créatures!" y compris les chiens!



Ils sont arrivés pour la plupart en avance à l’église –il est vrai qu’on est en Suisse, accompagnés par leurs maîtres.Après avoir goûté aux croquettes mises à disposition par l’Abbé Olivier Jelen pour « qu’ils se sentent bien accueillis »  et bu une rasade d’eau dans les gamelles, Rebecca, Tony, Juliette, Fango, Mia, Amandine…, se sont installés tranquillement, qui assis sur les bancs de bois, qui allongé à même le sol,  qui dans un panier, qui dans les bras… attentifs à faire bonne figure, à renifler son voisin, à trouver une place digne de son rang et de l'Evènement – une sortie à l’église ce n’est pas tous les jours !  Phénomène inattendu, dès les premières notes de l’orgue, le silence se fait presque total… comme si tout était « normal ». N’étaient les têtes un peu plus poilues et les grandes oreilles qui dépassent, rien ne laisse deviner que cette messe, pardon ! cette célébration (parce que les animaux, ça ne communie pas), est une liturgie en leur honneur et en l’honneur de la création toute entière. 

Saint François doit se réjouir
En ce week-end de la saint François, cette démonstration de fraternité improbable a de quoi réchauffer le cœur de celui pour qui on renverse quelque peu l’ordre établi ! Une trentaine de chiens, quelques chats et une chauve-souris, planquée dans les replis d’une tenture portant Christ en croix, se sont données rendez-vous pour vivre ensemble ce à quoi ils révéraient – à n’en point douter au vue de leur mine réjouie et attentive, de participer plus souvent : se retrouver à pied d’égalité, ou presque (faut pas exagérer, ni provoquer la censure !) avec leurs frères humains.



Il y a, de fait, pour eux de quoi s’étonner et se réjouir. Après un début de messe un peu « classique » -convenances obligent – les oreilles se sont levées pour écouter l’inédit : non pas une, mais plusieurs demandes de pardon ; pardon pour les tigres, les éléphants, les panda et les rhinocéros décimés par nos soins, pardon aussi pour tous les animaux abattus pour être mangés –c’est vrai qu’il y en a aussi dans les croquettes- , mais les milliards de cochons, bœufs , poulets et poissons tués chaque année…, ça fait froid dans le dos, pardon aussi pour la fourmi, l’araignée et le vers de terre que l’on élimine à coup de talon ou de pesticides…

Quelle mouche a donc piqué le Père Abbé ? A-t-il perdu la raison pour donner autant d’importances à de si petites « choses », et se permettre de secouer les puces à ses paires ? Comment vont-ils réagir ? Contre toute attente, les humains semblent recueillis et reconnaissants, souriants même… le monde à l’envers !


Isaï pour aujourd'hui... ou pour demain?
Il est vrai que l’Abbé n’est pas seul dans son équipe ; il a derrière lui un saint et un pape, et non des moindres, puisqu’ils s’appellent tous les deux François. Il n’hésite pas à les solliciter dans son homélie, commentant ces versets de la Genèse où, en ce sixième jour, les humains et les animaux sont créés dans un même souffle d’amour : « Chacune des créatures, surtout les créatures vivantes, a une valeur en soi, d’existence, de vie, de beauté et d’interdépendance avec les autres créatures»[1]. Ces paroles là, ce n’est pas rien. On s’étonne juste, que cette sagesse et cette douceur n’émergent pas plus souvent. La fraternité entre toutes les créatures, comprenez, ça leur parle aux animaux. Isaï, comme nous, ils y aspirent. Seulement, ça ne dépend pas d’eux. Alors, pour une fois que quelqu’un a le courage de dire cela au grand jour, qui plus est dans une charmante petite église de Genève, alors on se dit qu’il se passe quelque chose de bien extra-ordinaire et l’on en vient à espérer.


Pardon et gratitude 
Quand le représentant de la SPA, très digne dans son joli costume, vient parler au pupitre, évoquant  tous les abandons, les amis en attente d’adoption, mais aussi toutes ces âmes charitables qui les aident, et que l’abbé, à ses risques et périls, donne l’autorisation d’applaudir, ils n’y tiennent plus et lancent des aboiements multicolores. L’orgue, à nouveau, apaise ces marques de reconnaissance et facilite la reprise de la cérémonie, qui n’est pas non plus piquée des vers. Après le pardon, c’est la louange, l’action de grâce, le « merci »… Tout le monde est convoqué : les oiseaux au plumage multicolores, la mer et ses merveilleuses richesses, l’éléphant, le renard et la biche au regard si doux, mais aussi, tous les mal-aimés, requin, serpent et loup… que nous sommes invités à accueillir dans notre cœur. En ce jour particulier, le Royaume aurait-il frappé à la porte de l’église ? Ce temps inédit nous le laisse espérer.

Enfin, arrive le moment si attendu de la bénédiction –après la communion entre les frères humains bien sûr. Chacun, qui sérieux, qui timide, qui avide comme un enfant… s’avance vers le chœur pour recevoir la main douce et attentionnée de l’Abbé sur son pelage. C’est un instant volé aux convenances, un instant précieux de cœur à cœur, où chacun, appelé par son nom, reçoit un peu d’eau bénite comme des étoiles tombées du ciel. Qu’il est doux ce moment d’intimité, qu’il est fort ce moment de dignité où, enfin un homme, qui plus est, un homme d’église, vient à leur rencontre avec sincérité. L’Abbé Olivier ne brade pas son geste. Il prend le temps de la relation juste. Comme il doit être bon pour la bête de le recevoir. Qu’il est bon pour nous de le voir faire ! Il y a de la réparation dans l’air, une réconciliation à l’œuvre… un souffle de vent nouveau.

"Nous n'avons pas deux cœurs, un pour les animaux, un pour les hommes"
Ce à quoi nous assistons n’est ni du folklore, ni du théâtre, c’est l’expression d’une juste relation de fraternité qui tente une percée dans notre monde de conformisme et de faux-semblants. Beaucoup de gens aiment sincèrement leurs animaux de compagnie ; c’est une porte d’entrée pour aimer plus loin et plus large encore (et non son contraire, comme veulent le faire croire le tenants d’un dualisme opposant la cause humaine et la cause animale). Porter reconnaissance à ce lien qui nous unit à toutes les créatures, c’est aussi encourager la reconnaissance de notre unité en Christ, et partant, de notre lien à Dieu. Que cet élargissement de notre compassion et cet attendrissement de notre cœur passent par l’animal, n’est pas un mal. Au contraire, cette fraternité retrouvée nous conduit aussi à plus d’humilité ; celle de comprendre que la Création dans son ensemble, et chaque créature de façon particulière est un parole de Dieu.

Ce qui s’est vécu en ce jour dans cette petite église, mais aussi dans d’autres églises en France au même moment (Paris, Lyon, Honfleur…), résonne comme les premiers accords de la prophétie. A l’heure où l’église Sainte-Rita, qui accueillait depuis trente ans une célébration pour les animaux à l’occasion de la saint François est en passe d’être détruite par les bulldozers de promoteurs, nous ne pouvons que prier pour que des initiatives invitant à la paix universelle fleurissent le plus largement possible.

Christine Kristof-Lardet






[1] Discours du Pape François aux Nations Unis , New-York, sept. 2015





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